Me voilà face à la rivière, si calme, quelque peu agitée par le passage des péniches. L'air est froid et l'odeur marine qui nous arrive de là-bas vient chatouiller mes narines.
Ils n'avaient pas de raison valable. J'ai été sage, j'aurais pû. Ils n'ont fait que m'hurler dessus. J'en ai fais des cauchemars. Pourquoi en ont-ils eu contre moi ?
J'avance vers l'eau et retire mes ballerines préférées, aux couleurs d'Harley Quinn. Ma veste d'Izaya me protège maigrement de la brise glacée. Mon jean est légèrement humidifié par la pluie qui commence. Je porte le t-shirt que m'as prêté ma Chouchou, le t-shirt Marilyn Manson. Les larmes bordent mes yeux.
J'ai essayé d'argumenter pourtant. J'ai eu de bonnes notes, et même en leur cachant que j'étais collée, j'y ai crus. J'y ai réellement cru, comme une sotte, jusqu'à la dernière minute. J'ai crus innocemment que mes parents me laisseraient retourner avec les gens qui partagent mes passions. Pas d'argent selon eux. Ils ont acheté pour 130 € de clopes la veille de ce jour. La vendeuse doit m'en vouloir à mort de décaler une troisième fois la date. Désolée mademoiselle, mes parents sont des connards.
Je trempe mon pied dans l'eau à la température douteuse. Tant pis. Je marche en frissonnant. L'eau m'arrive aux chevilles.
Je voulais la payer cette convention. Mais elle a refusé. Je suis certaine qu'elle a déjà vidé mon compte. "On en aurait pour plus de 80 €". Oui, c'est vrai. Sauf si vous vous décidiez à me laisser faire juste 20 minutes de train toute seule. J'aurais mieux fait de leur mentir. Quand je fais primer l'honnêteté, on me refuse ce que je demande.
J'avance lentement. Des gens commencent à s'attrouper. Il est interdit de se baigner dans cette eau qui s'insinue vicieusement sous mon jean.
Je ferais tout pour ne pas revoir ces cons lundi. Ne pas avoir à supporter leurs regards ignorants, ne pas avoir à vivre encore si longtemps sans pouvoir aller où bon me semble. Si je reste, à 18 ans ils me surveilleront encore. Je n'aurais jamais le droit de partir.
L'eau m'arrive à la taille à présent. Je ferme ma veste. J'arrive à la fermer maintenant, j'ai maigris, beaucoup maigris. Une migraine me reprend. J'en fais tous les jours depuis ce fameux soir.
Quoique je fasse on m'engueule. Une fois je sors trop, une fois je ne sors pas assez. Pourtant, elle m'a demandé de me lever ce dimanche là, me disant de faire mes devoirs. J'étais persuadée qu'elle m'y emmènerais. Mais non, ils se sont absentés toute la journée, sans m'informer d'où ils allaient. Si j'étais parano, je jugerais qu'ils y sont allés sans moi.
J'envoie un dernier SMS à mon père. "Merci d'avoir annulé ta promesse". Je devrais oublier mes passions, renier ma personnalité, juste parce qu'il n'en a rien à foutre ? Hors de question. Plutôt crever. J'inspire longuement avant d'enfoncer ma tête sous l'eau. Je partirais fière, en assumant mes passions. C'est mon destin. Ou plutôt c'était.